Les banquiers centraux désespérés pour maîtriser la marche incessante de l’inflation ont commencé à envoyer des signaux qu’ils accueilleraient non sans déplaisir une monnaie plus forte. Le risque inflationniste prévaut désormais sur une croissance pourtant en forte perte de vitesse. L’idée est de réduire le coût des importations en augmentant le pouvoir d’achat à l’étranger.
Le 16 juin, la Suisse a surpris les marchés avec la première hausse de taux depuis 2007, envoyant le franc suisse à son plus haut niveau en sept ans. Quelques heures plus tard, la Banque d’Angleterre annonçait à son tour une augmentation des taux et d’autres à venir.
La valeur des devises est devenue une part de plus en plus importante de l’équation de l’inflation. On rentre dans une nouvelle ère de « guerre des devises inversées ». Le temps pas si lointain où l’on cherchait à affaiblir sa devise pour gagner en compétitivité est désormais révolu. Avec la montée en flèche des prix, notamment d’éléments très sensibles pour les populations, comme le carburant ou la nourriture, le renforcement du pouvoir d’achat est soudainement devenu plus important. C’est un jeu dangereux, car si elle n’est pas maîtrisée, cette concurrence internationale menace de déclencher des fluctuations brutales des devises les plus dominantes. Les guerres de change sont notoirement un jeu à somme nulle. Même si on ne sait pas exactement dans quelle mesure une devise plus forte atténue l’inflation, la mesure se révèle très populiste dans un contexte de montée des extrêmes politiques.
L’une des interventions gouvernementales à grande échelle les plus notables sur les marchés des changes a eu lieu en 1985. La valeur du dollar américain avait grimpé en flèche pendant le premier mandat du président Ronald Reagan en raison de la hausse des taux d’intérêt à long terme. L’administration américaine avait d’abord vu cela comme un hommage à la force de leur économie, mais les inconvénients étaient rapidement devenus évidents. Reagan subissait la pression des fabricants américains qui avaient de plus en plus de mal à commercialiser leurs produits à l’étranger. En septembre 1985, les banquiers centraux américains rencontrèrent leurs homologues français, allemands, japonais et britanniques à l’hôtel Plaza de New York. Dans ce qui est connu sous le nom d’Accord du Plaza, ils élaborèrent un plan qui allait faire chuter la devise américaine de 40% au cours des deux années suivantes. Les Accord du Louvre à Paris, signés le 22 février 1987, mettront fin à l’effort. Depuis lors, les gouvernements sont rarement intervenus aussi explicitement pour influencer la valeur des devises.
La Chine a enflammé les critiques pendant des années en refusant de permettre au yuan de se renforcer alors que les exportations bon marché alimentaient un boom économique. Donald Trump en avait fin un argument électoraliste ciblant les taux de change des pays avec qui les Etats-Unis avaient un solde commercial déficitaire.
Aucun pays n’est peut-être mieux connu pour ses efforts visant à limiter la valeur de sa monnaie que le Japon, où la baisse du yen a rempli les poches de ses grandes entreprises exportatrices. Le gouverneur de la Banque du Japon, Haruhiko Kuroda, a continué d’afficher une position accommodante, tout en concédant que la chute du yen n’était pas forcément une bonne nouvelle pour l’économie. Le yen a chuté de plus de 18% contre dollar cette année.
Dans la guerre des devises qui débutent, le dollar américain a sans doute le plus à perdre. Ses gains en 2022 se sont avérés une bénédiction pour une Réserve fédérale qui tentait de lutter contre la hausse des prix. La secrétaire au Trésor, Janet Yellen, a souligné l’engagement de l’administration Biden en faveur d’un taux de change déterminé par le marché, mais cela n’a pas empêché l’administration américaine de célébrer les gains du dollar et d’en faire un argument pour les élections de mi-mandat à venir. A court terme, l’instabilité géopolitiques et une politique de la FED plus « hawkish » pourraient continuer à bénéficier au dollar.
A contrario, d’autres éléments plus longs terme vont dans le sens d’une dé-dollarisation de l’économie mondiale. Les mesures prises contre la Russie, à la suite de l’invasion de l’Ukraine, notamment le gel d’une partie des réserves de change de la banque centrale russe et la déconnexion du système SWIFT pourraient remettre en question le poids des réserves et les échanges en dollars. La montée des tensions commerciales avec la Chine, ainsi que l’avènement d’une devise chinoise promis à prendre une place de plus en plus importante dans le paysage monétaire mondial pèsera également contre le billet vert.