Jérôme Powell a probablement plus de points communs avec Arthur Burns que celui qui le remplaça, Paul Volcker. Cette connotation, si elle devait se révéler exacte, est potentiellement désastreuse pour l’économie américaine et donc pour le monde occidental. La semaine dernière le président de la FED a tenté de rétablir sa crédibilité et celle de la Réserve fédérale avec une augmentation de 75 points de base des taux, la plus forte hausse de taux depuis 1994.
La Fed s’était engagée sur la voie de la normalisation de la politique monétaire après la longue période de stagnation qui avait suivi la crise financière mondiale de 2008. Les taux d’intérêts, proche de zéro, ont d’abord été relevé d’un quart de point en décembre 2015. Un an plus tard, immédiatement après l’élection de Donald Trump, la présidente de la Fed, Janet Yellen, entamait une marche vers la normalisation, en relevant le taux cible par séquence de 0,25%, pour ramener les taux à la fin de 2017 à 1,5%. Jérôme Powell, nommé en février 2018, continua le mouvement et les taux grimpèrent a 2.5% à la fin de la même année. Dans le même temps, le bilan de la Fed commença à se contracter. En février 2019, il tomba en dessous de 4,000 milliards de dollars pour la première fois depuis décembre 2013.
Cette politique n’était pas du gout du Président Trump dont la vigueur de l’économie se mesurait à la performance des marchés actions. Trump attaqua à plusieurs reprises Powell. En l’espace de moins de deux ans après avoir nommé Powell, Trump twitta près de cent reprises à propos de la Fed. La stratégie fut d’une grande efficacité et les hausses de taux cessèrent le 1 aout 2019. A cette date, la FED réduisit les taux de 25 points de base, la première de trois réductions avant que la pandémie ne frappe. Cet automne-là, la contraction du bilan pris fin, avec de nouveaux achats par la Fed d’obligations à court terme.
Cinq décennies plus tôt, le président Richard Nixon n’avait pas Twitter à sa disposition. Mais sa vision de l’indépendance de la Fed n’était pas différente de celle du Président Trump. Dès l’annonce de la nomination de Burns à la Fed, en octobre 1969, Nixon précisa ce qu’il pensait du « mythe de la Fed autonome ». Comme Powell, Burns eut une politique monétaire plus adaptée aux ambitions du locataire de la maison blanche que de celle de l’économie américaine. Si Nixon fut réélu grâce à une économie en plein essor, le prix payé par les Américains fut lourd de conséquence avec une envolée de l’inflation. La masse monétaire augmenta à des taux à deux chiffres au cours de l’année électorale. L’inflation culmina à 12% au cours du dernier trimestre de 1974.
Même si l’inflation atteint un sommet cette année, c’est une erreur de penser comme le prévoit la FED qu’elle redescendra en dessous de 3% l’année prochaine, en dessous de 2,5% en 2024, puis de 2% par la suite. Ce que les modèles des économistes omettent, ce sont les événements imprévisibles et leurs conséquences, l’histoire ne se laisse pas souvent apprivoiser par des modèles économiques. Les années 1970 sont là pour nous rappeler qu’une catastrophe en entraîne une autre. En plus des erreurs de la Fed, les coûts de la guerre du Vietnam et des programmes de protection sociale du président Lyndon Johnson pesèrent sur l’inflation. Certes, celle-ci culmina au début des années 1970, puis redescendit en dessous de 3% en août 1972. Mais cela ne signifie pas qu’elle était « transitoire ». Une hausse soutenue des prix des denrées alimentaires fit rapidement remonter l’inflation, avant même le premier choc pétrolier en 1973. Cette année-là, 57% de l’augmentation de l’inflation globale des prix à la consommation pourraient être attribué aux produits alimentaires, et seulement 8% environ étaient attribuables à l’énergie. Une combinaison de facteurs avait conduit à une forte inflation des prix alimentaires, notamment des récoltes ratées en Union soviétique en 1971 et 1972, ainsi que les contrôles du gouvernement américain sur la quantité de terres que les agriculteurs américains pouvaient utiliser pour cultiver. L’embargo pétrolier imposé par l’Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole en octobre 1973 fut le coup de grâce, amplifiant grandement le problème inflationniste créé par le laxisme de la Fed. L’inflation s’envola en 1974 et une récession s’ensuivit sur la période 1974-75. L’inflation fut ramenée à 5% à la fin de 1976. Mais cela ne signifiait pas que l’inflation était transitoire, encore moins qu’elle revenait à la moyenne. Une autre vague d’instabilité géopolitique, culminant en 1979 avec la révolution iranienne et l’invasion soviétique de l’Afghanistan, firent grimper les prix vers des sommets. Celle-ci culmina à un peu moins de 15% en avril 1980.
Aujourd’hui, de la même manière, la guerre en Ukraine frappe l’économie mondiale avec un choc des prix de l’alimentation et de l’énergie. La guerre de la Russie a redessiné le commerce mondial des céréales de 120 milliards de dollars, a cela s’ajoute des aléas climatiques de plus en plus violents et réguliers qui perturbent grandement une des industries les plus sensibles au monde. Et malheureusement le conflit est loin d’être terminé, avec des champs criblés de mines et un accès aux ports difficiles, la situation va perdurer. Le gouvernement ukrainien s’attend à ce que la production céréalière chute d’environ 40% par rapport à 2021, après que les agriculteurs ont manqué d’engrais ou laissé des terres non semées. Par exemple, sur les 127,000 hectares cultivés avant la guerre par HarvEast, l’une des plus grandes compagnies de l’industrie agricole ukrainienne, environ 80,000 se trouvent dans des zones occupées. Au regard, de la situation, il est plus que probable que le pire soit devant nous.
Le secteur de l’énergie a été privé des investissements nécessaires depuis près de dix ans, pour raison de transition énergétique. Sur les champs pétroliers en activités, produisant les 100 millions de barils jour dont le monde a besoin, la moitié sont en déclin avec un perte de production estimée a 5% annuellement par le ministère de l’énergie d’Arabie Saoudite. A cela s’ajoute des situations particulières, comme l’instabilité politique libyenne qui a provoqué l’arrêt de la quasi-totalité de la production la semaine dernière, pour une période indéterminée, soit 1.2 million barils jour.
Les matières premières, notamment celles nécessaires à la transition énergétique : cuivre, palladium, métaux rares…, sont exactement dans la même situation, entre sous-investissement massif, changement de régulation et situation géopolitique compliquée.
Si l’on regarde les chiffres en absolus, la trajectoire de resserrement actuelle de la Fed ressemble plus à l’échec du resserrement du milieu des années 1970 qu’à ce qui avait dû être fait plus tard par le gouverneur Paul Volcker pour parvenir à une désinflation. La Fed avait augmenté les taux de 350 points de base entre 1973-74, plus que ce qui semble actuellement être envisagé 150 points de base depuis mars, et 175 points de base supplémentaires promis dans le résumé révisé des projections économiques de la Fed. Le resserrement de 1977-80, en revanche, s’élevait à 775 points de base. Au regard de la situation actuelle, autrement plus compliquée que celle des années 70, cela est simplement insuffisant.
La Fed de Powell ressemblera-t-elle davantage à la Fed de Burns ou à la Fed de Volcker ? Tout ce que nous savons, c’est que Powell a déjà tourné sa cuti en réponse à une correction boursière de 19% fin 2018 et à un président dont le mode de communication était le tweet. Ajoutons à cela, que la FED est déjà très largement en retard, et la réponse est presque évidente.